Une route, la vie
L'homme conduit. Il est parti de chez lui quelques minutes auparavant dans un petit matin encore obscur et brumeux, au volant de sa berline familiale. Deux sièges-auto à l'arrière, celui de droite pour Julie, l'aînée ; celui de gauche pour Lucas, le petit dernier.
Il pense. Il se demande ce que sa vie aurait été sans ceci, avec ça, en faisant cela autrement, aussi. Ses pensées vagabondent, rebondissent, se multiplient et se superposent. Faire le tour du monde, ça il aurait aimé. Changer de ville, de pays comme on change l'eau des fleurs, changer d'horizon et de parfums, d'habitudes.
Mais il habite depuis une dizaine d'années dans un lotissement de maisons en kit à l'entrée de la ville, à côté du bruit incessant de la route et des camions aussi haut que leur balcon. Il est commercial dans une boîte banale et sans éclat, et son patron met les pieds une fois par semaine au bureau pour reprocher, assener et menacer, puis finir par s'en aller passer le reste de la journée avec des "filles" à l'hôtel deux rues plus loin.
Il a épousé Louise quand elle est tombée enceinte. Oui il l'aime. Plus par habitude que par passion. Plus parce que c'est pratique et qu'il y a les enfants, aussi. Il se demande ce que ça ferait de ne pas aller au travail. De ne plus rentrer à la maison. De laisser tout ça, cette vie là, à d'autres. Vivre comme on est au fond, ou bien mourir parce que la vie, la force des choses, a décidé pour vous, sans vous consulter. Ca c'est la question qu'il se pose, là.
Un éclair dans sa tête. Le volant, et ses mains crispées dessus. Le bois au bord de la route. Un chêne, un choc... Et puis plus rien
